Au Moyen Âge, des femmes choisissaient d'être emmurées vivantes.


Au Moyen Âge, la plupart des villes d'Occident se dotent de recluseries:  Installés sur les ponts, à l'angle des rues passantes ou dans les murs des églises, ces aménagements accueillent des «sentinelles spirituelles» dont la prière constante est censée repousser les épidémies de pestes et les envahisseurs. Ce n'est pas un hasard si ces cellules sont liées aux ponts ou aux portes de la cité: elles forment un rempart spirituel qui se superpose aux défenses physiques.

On les appelle «reclusoirs» ou «recluseries». Ces cellules exiguës (entre 4 et 9 mètres carrés), qu'on peut encore parfois apercevoir accolées aux murs de certaines églises, ressemblent à un défi lancé à la face du temps. Rien n'a changé depuis leur construction médiévale: des murs aveugles et nus, un sol de dalle froide, un filet de lumière grise filtrant à travers une fenêtre grillagée. Pour seul confort, une cheminée glacée; pour seule décoration, un crucifix au mur. Une table, un tabouret, un lit de bois dur. 

La recluse (c'est une femme dans la plupart des cas) qui y demeure a fait le serment de se consacrer à la prière et à la pénitence jusqu'au terme de sa vie. Elle prie pour les morts enterrés dans le cimetière voisin, pour la fertilité des terres, pour la protection de l'église et du donjon, pour l'opulence de la cité dont lui parvient le murmure étouffé. Elle prodigue conseils et bénédictions aux bourgeois qui viennent la consulter.

Elle honore une société qui ne la concerne déjà plus: en franchissant le seuil du reclusoir juste avant qu'on n'en scelle l'entrée, elle a pénétré dans son propre tombeau. D'ailleurs, la cérémonie qui précède cet enfermement est semblable aux rites de l'enterrement. la recluse reçoit l'extrême-onction, entend un requiem et devient, dès lors, «morte au monde» aux yeux de ses contemporains.

Pour autant, il ne s'agit pas d'une punition. C'est même un privilège très convoité, qui n'est accordé qu'à une poignée d'individus. Si l'on associe aujourd'hui le mot «réclusion» à une peine criminelle, le terme original désigne une forme d'isolement volontaire, de retrait du monde. Dans la tradition chrétienne de l'époque, la piété religieuse se manifeste souvent par des exercices extrêmes: pèlerinages, privation de nourriture, flagellation des chairs…  marquée du sceau du sacrifice.

Dans ce contexte, le fait de renoncer complètement au monde, à l'instar des ermites ou des moines , est considéré comme une magnifique démonstration de piété. Peut-on consentir sacrifice plus grand? Ce n'est pas tout à fait abandonner le monde, mais le voir peu à peu se réduire aux deux petites fentes aménagées dans les murs du reclusoir –l'une servant à recevoir la charité publique, l'autre à écouter la messe.

«Du coup, les signes s'inversent, dans L'Histoire. La prison devient un paradis, la porte du Ciel; le tombeau un berceau où germe la graine d'immortalité bienheureuse. Ancre du navire de l'Église, le reclusoir est un accumulateur de grâces pour la collectivité tout entière, ici-bas et dans l'au-delà.»

Très répandu au Moyen Âge, l'usage du reclusoir s'essouffle à mesure que la société occidentale s'émancipe de la tradition pécheresse du christianisme , notamment en se frottant à la reforme protestante  Lorsqu'on redécouvre ces logements de fortune murés depuis l'extérieur au XIXe siècle, on crie à la torture, Victor Hugo qualifie ainsi, dans Notre-Dame de Paris, le reclusoir de "tombe anticipée" et sa résidente de "squelette vivant ".

C'est oublier que le fait de s'enfermer volontairement avait ses vertus –notamment pour une femme du Moyen Âge. On pouvait être protégée des vices de la société , en particulier des viols collectifs qui sévissaient dans la plupart des communautés urbaines .On pouvait vivre avec un toit au-dessus de sa tête et recevoir nourriture et bois de chauffage, dans une forme d'indépendance impensable pour ses homologues. On passait l'éponge sur une vie pauvre, jalonnée de traumatismes, pour se voir érigée en modèle de vertu, servant Dieu sans avoir à subir les coûts d'entrée au monastère. En somme, la solitude du reclusoir pouvait être synonyme de paix.


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